
La liberté de création artistique face aux marques de luxe : enseignements du TJ Paris, jugement 2 avril 2025
Le Tribunal judiciaire de Paris a récemment rendu une décision intéressante en matière de contrefaçon de marques et de parasitisme dans le contexte particulier de la création artistique (TJ Paris, 3e ch., 3e sect., 2 avril 2025, n° 23/04114).
Cette affaire opposait les sociétés Rolex à un artiste plasticien ayant créé et commercialisé des œuvres artistiques intitulées 3D Watches, intégrant visuellement les célèbres signes “Rolex” dans des cadrans de montres stylisées.
Le contentieux illustre parfaitement les tensions récurrentes entre liberté de création artistique et droits exclusifs des titulaires de marques de renommée. Il apporte des précisions utiles pour les titulaires de marques comme pour les créateurs.
Les faits :
L’artiste avait conçu une série d’œuvres en trois dimensions intitulée 3D Watches, intégrant des références évidentes aux marques du groupe Rolex (notamment la dénomination “Rolex” et son célèbre logo “couronne”), et en avait assuré la promotion sur ses réseaux sociaux et par un clip vidéo diffusé sur YouTube.
Les sociétés Rolex, après mise en demeure infructueuse, ont engagé une action en contrefaçon de marques et en parasitisme.
Les principales questions juridiques
- Les marques invoquées étaient-elles bien des marques de renommée ?
- L’artiste pouvait-il invoquer sa liberté de création artistique pour écarter la contrefaçon ?
- L’usage des signes litigieux relevait-il également d’un comportement parasitaire ?
La décision du tribunal :
- La reconnaissance de la renommée partielle des marques Rolex
Le tribunal a fait preuve de rigueur dans l’analyse de la renommée :
- Les marques “Rolex” (n° 976721 et n° 1355807) et la marque semi-figurative “couronne” (n° 476371) ont bien été reconnues comme des marques de renommée sur la base d’éléments convaincants (enquêtes de notoriété, budget publicitaire conséquent, forte présence médiatique).
- En revanche, les marques désignant certains modèles (“GMT-Master”, “Yacht-Master”, “Milgauss”) n’ont pas été jugées suffisamment connues du grand public en elles-mêmes.
2. Le rejet de l’exception fondée sur la liberté artistique
L’artiste invoquait sa liberté d’expression artistique (pop art), mais le tribunal a opéré une distinction essentielle :
- Si l’intégration des marques dans l’œuvre artistique pouvait, dans une certaine mesure, relever de cette liberté,
- En revanche, l’usage promotionnel et commercial fait de ces signes sur les réseaux sociaux et dans un clip vidéo excédait les usages loyaux admissibles.
Le tribunal rappelle utilement que l’usage d’une marque n’est pas loyal lorsqu’il :
- suggère l’existence d’un lien commercial,
- tire indûment profit de la renommée de la marque, ou
- entraîne une dilution de son caractère distinctif.
Ici, la présentation des œuvres laissait clairement penser à un lien avec le groupe Rolex, créant un effet de levier commercial prohibé.
3. Le parasitisme caractérisé
Sur le terrain du parasitisme, le tribunal a également retenu la faute :
- L’artiste avait sciemment multiplié les références aux signes “Rolex” pour promouvoir ses créations et capter une partie de l’aura et de la valeur économique de la marque.
- La jurisprudence rappelle qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une situation de concurrence directe pour caractériser un comportement parasitaire.
Sanctions prononcées :
Le tribunal a condamné l’artiste à :
- Interdiction d’usage des marques “Rolex” sous astreinte ;
- Retrait des vidéos et messages litigieux sur les réseaux sociaux ;
- Dommages et intérêts : 2 500 euros par société au titre de la contrefaçon, 1 500 euros par société au titre du parasitisme ;
- 3 000 euros par société au titre de l’article 700 du CPC.
Enseignements pratiques :
- Pour les titulaires de marques de renommée :
Cette décision réaffirme que les tribunaux français demeurent particulièrement attentifs à la protection des marques de luxe contre les détournements commerciaux déguisés, même sous couvert de démarche artistique.
- Pour les artistes et créateurs :
La liberté d’expression artistique n’autorise pas des usages à visée promotionnelle qui pourraient capitaliser sur la renommée de marques protégées, surtout dans des contextes commerciaux ou de vente.
- Pour les entreprises du luxe et leurs conseils :
Le jugement confirme la pertinence d’une stratégie de preuve robuste (enquêtes de notoriété, démonstration d’une valorisation active des signes) pour faire valoir la notoriété des marques et assurer leur protection efficace contre les risques de dilution et de parasitisme.
Le Cabinet Junca & Associés accompagne ses clients – titulaires de marques, créateurs, entreprises du numérique et de l’industrie du luxe – dans la défense et la valorisation stratégique de leurs droits de propriété intellectuelle face à ces nouveaux enjeux.