Quand la protection des données risque d’étouffer la concurrence : quelles implications pour le marché des applications ?
Le domaine de la protection des données personnelles est devenu incontournable dans notre société numérique.
Cependant, une question se pose de plus en plus : une protection excessive des données, notamment lorsqu’elle est exercée par des acteurs dominants comme Apple et Google, pourrait-elle restreindre la concurrence sur le marché des applications mobiles ?
Dans un avis récent, l’Autorité de la concurrence française a émis des réserves sur les recommandations de la CNIL en matière de RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) appliquées aux applications mobiles.
Cet article explore ce débat complexe entre vie privée et concurrence.
La protection des données : une responsabilité accrue pour les géants du numérique ?
La CNIL, en charge de la protection des données en France, a proposé des recommandations visant à renforcer la conformité des applications mobiles au RGPD.
En particulier, elle souhaitait confier aux plateformes comme Apple et Google un rôle de contrôle de conformité au RGPD, visant à s’assurer que les applications présentes sur leurs magasins respectent les standards de protection des données. En théorie, cette idée semble bénéfique, car elle garantirait un niveau élevé de protection pour les utilisateurs.
Toutefois, l’Autorité de la concurrence y voit un risque important : en confiant ce rôle de “régulateur délégué” aux plateformes dominantes, on leur permettrait d’imposer leurs propres règles et de contrôler l’accès au marché des applications.
En d’autres termes, Apple et Google pourraient devenir les arbitres de qui peut ou ne peut pas entrer sur leur plateforme, renforçant ainsi leur position dominante.
Le risque de blocage des nouveaux entrants
L’Autorité de la concurrence souligne que les écosystèmes d’Apple et Google, dominés respectivement par leurs systèmes d’exploitation iOS et Android, contrôlent déjà une part majoritaire du marché des applications mobiles. Cela leur confère un avantage de taille, puisque tout développeur d’application doit passer par leurs magasins pour atteindre le grand public.
En imposant des standards de conformité plus élevés que ceux exigés par le RGPD, Apple et Google pourraient rendre difficile, voire impossible, l’accès au marché pour de nouvelles applications ou des entreprises de taille plus modeste.
Dans un tel contexte, ces entreprises dominantes pourraient facilement utiliser leur pouvoir de contrôle pour favoriser leurs propres applications ou partenaires au détriment des applications concurrentes.
L’Autorité de la concurrence insiste donc sur la nécessité de limiter ce pouvoir de régulation confié aux grandes plateformes pour éviter de fausser la concurrence.
Un équilibre difficile entre protection des données et libre concurrence
La protection de la vie privée est bien entendu un droit fondamental, et les utilisateurs ont tout intérêt à voir leurs données bien protégées. Cependant, l’Autorité de la concurrence pointe un phénomène intéressant : un certain paradoxe entre les intentions des utilisateurs et leurs pratiques.
Bien que beaucoup soient préoccupés par la protection de leur vie privée, dans les faits, ils acceptent souvent des conditions de confidentialité peu rigoureuses pour accéder à des services gratuits ou à des fonctionnalités supplémentaires. Ce “privacy paradox” montre que la protection des données, bien qu’importante, n’est pas toujours le premier critère de choix pour les utilisateurs.
Pour assurer un bon fonctionnement du marché, il est donc crucial de trouver un équilibre : offrir aux utilisateurs des garanties de protection de leurs données tout en veillant à ne pas entraver la concurrence. Une « sur conformité » imposée par des entreprises dominantes risque de limiter les choix des consommateurs en restreignant l’accès de nouvelles applications innovantes au marché.
Les recommandations de l’Autorité de la concurrence : vers une régulation équitable
Pour éviter ce risque de concentration excessive, l’Autorité de la concurrence a proposé plusieurs ajustements aux recommandations de la CNIL. En particulier, elle préconise que toute régulation effectuée par les grandes plateformes, comme les vérifications de conformité, soit appliquée de manière transparente, équitable et non discriminatoire. Cela signifie qu’Apple et Google ne devraient pas utiliser leur position pour bloquer certaines applications au profit de leurs propres services.
Par ailleurs, l’Autorité de la concurrence encourage une notation des applications en matière de protection de la vie privée qui soit faite par des tiers indépendants, plutôt que par les opérateurs eux-mêmes. Cette approche permettrait d’éviter que ces géants ne manipulent la visibilité des applications selon leur propre intérêt.
Enfin, pour renforcer cet équilibre, l’Autorité invite la CNIL à modérer certaines de ses recommandations, notamment en ce qui concerne l’obligation pour les utilisateurs de consentir à des permissions répétitives pour accéder à certaines fonctionnalités comme le GPS, l’appareil photo ou les données stockées.
Si ces permissions sont trop restrictives, elles risquent de décourager l’utilisation de certaines applications, créant ainsi un désavantage concurrentiel injustifié pour certains éditeurs.
Pour les entreprises : vers une prise de conscience des risques de conformité excessive
Pour les entreprises du secteur numérique, cette situation met en lumière l’importance de comprendre les implications de la protection des données sur le plan concurrentiel.
Si la conformité au RGPD est essentielle, il est également crucial de rester vigilant face à des mesures qui pourraient limiter leur accès au marché ou les soumettre à des standards excessifs.
Une entreprise confrontée à des obstacles de conformité imposés par un acteur dominant devrait s’assurer de la légitimité de ces exigences et, le cas échéant, faire valoir ses droits pour un traitement équitable.
Conclusion : protéger les données sans restreindre la concurrence
L’avis de l’Autorité de la concurrence met en lumière un enjeu essentiel pour l’avenir du numérique : comment protéger les données personnelles sans freiner la concurrence et l’innovation ?
Dans ce débat complexe, il est crucial de trouver un juste milieu entre respect des droits des utilisateurs et préservation de l’équité sur le marché des applications.
Pour ce faire, le Cabinet Junca & Associés, spécialisé en droit de la propriété intellectuelle et droit du numérique, dispose des compétences nécessaires pour accompagner les entreprises dans leur démarche de conformité.
Si vous êtes concerné, n’hésitez pas à nous contacter pour toute question que vous jugeriez utile.